Innovation ou réinvention ?
La question de l'originalité dans l'écriture
ÉCRIRECONSEILSRÉFLEXION
3/4/20245 min read


« As-tu déjà eu l’impression que toutes tes idées ont toutes été faites ? »
Ça, c’est la question que m’a posée une abonnée et je pense qu’elle n’est pas la seule à se le demander. Qu’est-ce qu’une idée originale ? Que faire si nos idées ont des similitudes avec d’autres œuvres ? Est-ce vraiment la fin de la création ?
L’idée originale, mythe ou réalité ?
En tant qu’écrivains, nous souhaitons raconter une histoire jamais lue, élaborer un univers que personne n’a encore exploré ou donner naissance à un personnage inédit. Pourtant, au gré de nos lectures ou visionnages, nous pouvons trouver une de nos idées ici, une autre là… Et l’on se dit que nous n’avons rien d’original, finalement.
Mais a-t-on raison d’abandonner ? Non, à aucun moment. Ce qui me permet d’être aussi tranchée, c’est ma conviction que l’inédit, le jamais-vu n’existe plus, et ce, depuis bien des siècles. Certains d’entre vous ne seront sans doute pas d’accord avec moi sur ce point, mais je pense qu’il n’existe qu’un certain nombre de typologies de narration et que l’humanité les a déjà toutes traitées au moins une fois.
À l’heure où certains éditeurs se disent à la recherche de romans « concept », cette idée peut paraître défaitiste. Pourtant, elle me semble plutôt source d’espoir, laissez-moi vous expliquer pourquoi.
La recherche de l’inédit.
Si des éditeurs cherchent ces fameux romans « concept », ce n’est ni plus ni moins qu’une réaction à un marché du livre presque saturé. Avez-vous déjà compté le nombre de romances qui reprennent encore et encore les mêmes schémas, les récits « tranches de vie » d’une personne qui va partir en reconversion ou les narrateurs adolescents qui vont sauver le monde ?
Ces histoires font partie des plus grosses redites en termes de narration et pourtant, elles continuent à faire les tops-vente des libraires. Donc n’allez pas me dire que l’originalité est reine, je n’en crois pas un mot. Et dans un sens, tant mieux !
Nous sommes restés en quelque sorte cet enfant qui demande à ce qu’on lui lise, soir après soir, la même histoire. Cela nous permet d’accepter la réalité, d’intégrer une réflexion ou une frustration.De se connecter au commun et à l’universel.
Et au vu du nombre de lecteurs qui relisent ad nauseam leur saga préférée, j’ai peine à croire que l’inédit soit réellement la panacée.
En fait, je crois que cette quête de la nouveauté est bien plus marketing qu’une demande des lecteurs. Venant du secteur de la publicité, j’ai été « élevée » au son de cloche de la « disruption ». Pour au final revoir et rerevoir les mêmes spots télé ou prérolls YouTube. La disruption, l’originalité sont des Graals qui existent autant que la perfection.
Et finalement, pourquoi s’obliger à écrire une histoire à tout prix disruptive au détriment, souvent, de la cohérence de l’ensemble et de l’attrait des personnages ?
Stéréotypes, clichés et archétypes.
Le stéréotype, c’est l’apriori que l’on se fait d’une chose donnée. Ils sont souvent mal vus et pourtant bien utiles en écriture : ils servent de référence à un langage commun et sont de précieux alliés du récit universel. Ils aident aussi le lecteur à s’identifier, à reconnaître un lieu ou une situation.
Comprenez qu’un stéréotype n’est pas forcément une mauvaise chose, du moment que vous l’adaptez à votre histoire ; c’est en en jouant que l’on peut les moduler, les désamorcer, les briser. Ils sont des graines, des guidelines pour tracer votre histoire.
Le cliché, c’est le stéréotype nauséabond, celui que l’on sent arriver à 100 kilomètres. C’est celui qui en fait trop, qui est mal dosé ou mal venu. Le cliché, c’est trop sucré, trop amer, trop brûlé. C’est ce qui dérobe l’équilibre d’une scène, la fait tomber dans le pathos ou l’ennui et qui donne une impression de marasme créatif. Ceux-là, vous devez les éviter.
L’archétype, c’est l’original qui sert de modèle, le symbole universel appartenant à l'inconscient collectif. C’est la garantie d’une histoire qui se tient. C’est généralement ce que l’on rapproche le plus du squelette, d’une structure de roman. Il en existe différents types, mais ils ne sont pas si nombreux. Alors pour donner du sel, vous pouvez les multiplier, les manier à votre guise, ils n’en resteront pas moins éloquents.
Si vous démarrez dans l’écriture, l’archétype est votre plus grand ami et votre meilleur professeur.
Originale vs Unique
Si nous aimons tous être surpris par un roman, un personnage, nous aimons également retrouver la douceur d’un univers chéri, le trope d’une histoire d’amour ou encore la redondance d’une péripétie. Je pense que ce qu’il faut surtout choisir, c’est comment les écrire.
En effet, je pense que chacun de nous peut apporter du neuf à un récit. Peut-être trouverez-vous cela galvaudé, cul-cul ou simpliste, mais je suis persuadée que l’originalité d’une histoire vient de son auteur et de sa capacité à se servir de ce qui existe pour le transformer en quelque chose qui lui est propre.
En d’autres mots, c’est la singularité de l’auteur qui fera que l’œuvre sera unique. Pas nouvelle, pas forcément novatrice, mais unique, propre à lui-même.
La capacité à recréer l’existant.
J’aimerais que vous reteniez que votre plus grande originalité, c’est ce que vous faites de votre histoire. Le même pitch écrit par deux auteurs différents ne prendra jamais la même tournure. Donc ne vous arrêtez pas sur le fait que votre idée ait déjà été effleurée ; appropriez-vous la et rendez-la unique.
Par exemple, concernant Sulvania, je ne connais pas d’œuvre avec ce genre de créatures dans le ciel, mais je suis sûre que quelqu’un y a déjà pensé. Pour preuve : si ce n’était pas le cas, je n’aurais jamais eu d’images de référence avant Midjourney. De plus, bien qu’involontaires, j’ai découvert que mon histoire avait des similitudes avec Le Château dans le Ciel, une ambiance similaire au Château des Étoiles, une thématique proche à beaucoup d’autres œuvres encore.
Si au début, j’en ai été affectée, je me suis peu à peu raisonnée. Je ne suis que le produit d’innombrables œuvres de fiction qui nourrissent mon imaginaire depuis ma petite enfance. Tout comme vous.
Qu’ils s’agissent de contes, de dessins animés, de légendes, d’histoire réelles, de littérature ou d’audiovisuel, je ne suis que le mélange d’œuvres qui, ensemble, m’ont donné envie d’écrire.
Ce que j’ai vu ou lu et surtout ce que j’en ai retiré forment ma singularité.
Je partage avec d’autres le même imaginaire, il est donc normal que d’autres aient parfois la même idée. Mais ce qui nous rend différents, c’est la façon de l’utiliser, de le raconter, de le faire vivre et de le partager au lecteur. Une histoire originale est une histoire qui vient de vous. Si vous copiez, oui, vous n’aurez jamais une histoire originale, mais même si vous avez des idées similaires, si vous les traitez par votre prisme, elles seront uniques.
“ Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue ” - Jean Giraudoux.